"Les bobos n'existent pas" Ouvrage collectif
Merci à Marilia Vazc ( marilia.vazc@gmail.com ) pour la correction ! Publié le 25/09/2019

Source : https://www.pexels.com/fr-fr/photo/architecture-batiments-buildings-chaussee-548084/
Ils
sont dans les villes, dans les campagnes, sur les réseaux sociaux,
ils sont une nouvelle classe, après les bourges et les prolos, pas
loin des beaufs quoi que plus classe: les bobos. Le terme a gagné en
popularité ces dernières années et semble avoir pris une place
importante aussi bien dans la sphère médiatique, que dans le
langage courant, pour désigner ces privilégiés qui mangent du
quinoa à Paris avec leur pull sur les épaules. Mais cette
expression a-t-elle une quelconque pertinence sociologique ?
L'ouvrage collectif «Les
Bobos n'existent pas»
peut
nous permettre de répondre à cette question.
The Bobo's origins: genèse et utilisation du terme
Le bobo est un animal politique
A partir des élections présidentielles de 2012, le terme va peu à peu prendre une consistance plus sérieuse dans l'espace médiatique et politique. Christophe Guilluy se sert de cette expression dans ses ouvrages, de façon peu rigoureuse (le terme ne l'étant pas lui-même) et sans la définir, pour parler de la gentrification. Dans la sphère politique, le bobo va être utilisé afin de décrédibiliser des adversaires et récupérer l'électorat populaire. Nombreux sont les partis politiques à utiliser le terme et à fustiger les bobos: le Front de Gauche (devenu France Insoumise) et L'UMP (devenu les républicains) s'en servent pour décrédibiliser les bourgeois de centre gauche (associés au PS) et de gagner le vote populaire, bien que ces deux partis tentent en même temps de séduire ces bourgeois et de récupérer leurs votes. Mais c'est surtout le FN qui y trouvera son compte, en se servant de l'opposition entre les "bobos" et le "vrai peuple" pour faire passer son discours anti-immigration (les bobos y étant favorables, mais ils n'iraient pas jusqu'à les accueillir chez eux ces hypocrites!).Ainsi
le mot est fait
sur mesure pour la rhétorique du Front National. En effet, le bobo
est souvent désigné par deux caractéristiques principales:
il est plutôt riche et cultivé, c'est un privilégié qui vit dans
les grandes villes et en même temps il est de gauche, progressiste,
même si on lui reproche souvent une forme d'hypocrisie en mettant en
avant un style de vie qui ne serait pas en totale adéquation avec
ses idées. Cette représentation permet de séduire l'électorat
populaire en s'inscrivant en opposition à cette caricature: le
peuple n'aime pas les bobos, or ce sont ces mêmes bobos qui
défendent des idées progressistes. On prétend ainsi se mettre du
coté du peuple, contre les élites et leur prétendue volonté de
multiculturalisme et d'ouverture (et hop, le discours
anti-immigration du FN vient de trouver un terreau parfait pour se
développer). En associant les idées progressistes ou un candidat
(qui peut être aussi bien Macron que Mélenchon selon ce qui arrange
sur le moment) on décrédibilise des idées en les reliant à un
personnage jugé hypocrite et incohérent: le bobo. Il faut cependant
nuancer:
toute personne qui parle de bobo ou qualifie un groupe social en tant
que tel n'est pas un fasciste. Le mythe du bobo est dans toutes les
têtes et c'est un personnage de l'imaginaire collectif.
Les bobos, d'immondes gentrifieurs?
La gentrification, c'est-à-dire l'arrivée de populations plus riches que les populations plutôt populaires déjà présentes, ces dernières souhaitant retrouver une ambiance propre à ces quartiers populaires, est un phénomène complexe qui intéresse les sociologues et géographes depuis longtemps. Mais la barrière entre la sphère médiatique, le champ politique, l'opinion publique et le monde universitaire fait que malheureusement, les travaux les plus fins et les plus détaillés sont souvent tus. Ainsi, les représentations de ce processus sont simples voire simplistes, et les grilles de lecture pour la comprendre souvent incorrectes. La gentrification est donc très peu évoquée dans le débat public, mais on reproche cependant souvent au bobo de s'installer dans des quartiers où vivent des gens plus pauvre qu'eux, afin de payer un loyer moins cher, de se rapprocher du peuple, et de pouvoir trouver une ambiance particulière au quartier populaire. Ils risquent d'apporter avec eux une hausse du niveau de vie qui se répercute sur les catégories de populations les plus fragiles. Ce reproche n'est pas totalement infondé, car il arrive souvent que la gentrification se fasse à l'encontre des populations les plus pauvres. Mais ce n'est pas toujours le cas, il y a parfois des résistances, l'espace urbain étant souvent un enjeu politique important. D'ailleurs dans la grande bourgeoisie, comme l'ont souvent mis en avant Monique Pinçont-Charlot et Michel Pinçont, la privatisation de l'urbain et de l'espace, mais aussi la visibilité des rares personnes qui ne sont pas bourgeoises dans les quartiers qui le sont, sont des enjeux de luttes politiques forts. Et surtout, reprocher à la population qui arrive dans ces quartiers de s'y installer, c'est oublier la dimension politique de cette arrivée et donc la responsabilité des institutions politiques qui pousse à ce genre de phénomènes. En effet, voyant le filon se développer, les propriétaires peuvent augmenter les loyers, de nouveaux commerces plus chers peuvent ouvrir et les mairies peuvent parfois proposer de nouveaux aménagements et activités pour ces nouveaux arrivants. Ainsi, le phénomène est structurel et n'est pas que le fait des bobos. De nombreux acteurs, mairie en tête, peuvent favoriser, engendrer ou au contraire résister à la gentrification, faire porter les changements sociaux et urbains d'un quartier à un groupe social est alors un raccourci très maladroit, d'autant plus quand ce groupe social est aussi flou que l'est le bobo. Il est important de le rappeler que la gentrification est un processus politique qui peut être ralenti par une volonté et une organisation politique qui l'empêche d'avoir lieu. La ville et le monde urbain ne sont pas le résultat du hasard ou de mouvements de groupes sociaux, ils sont avant tout le résultat d'une lutte politique.Les bobos face aux enquêtes empiriques
Pour tirer les choses au claire, plusieurs sociologues ont décidé de mener des enquêtes empiriques sur l'usage du terme «bobo» afin de savoir qui ils sont et s'il s'agit réellement de gentrifieurs. Les enquêtes montrent deux choses: les usages du terme sont très divers et l'arrivée de nouvelles populations riches n'entraine pas de réactions homogènes chez les populations qui subissent la gentrification.La première enquête présentée dans l'ouvrage Les Bobos n'existent pas, a eu lieu dans les années 2000, elle a été faite dans deux quartiers en plein processus de gentrification. Mais en s'installant, il arrive que les nouveaux arrivants, les gentrifieurs, causent une hausse du niveau de vie qui chasse les populations qui étaient déjà là. Les deux quartiers étudiés furent le bas Montreuil, un quartier en train de se gentrifier, et les Batignolles, un quartier déjà bien gentrifié. Dans chaque quartier, la définition et l'usage de «bobo» changent du tout au tout. En effet, aux Batignolles, on retiendra le premier bo de bobo, puisque c'est avant tout la richesse et l'aspect bourgeois qui sert à définir le bobo. À l'inverse, dans le bas Montreuil, on retiendra davantage le terme bohème de bobo, puisque ces derniers sont davantage des artistes (souvent précaires et donc éloignés du «bourgeois» de «bourgeois bohème»). Ainsi, deux groupes sociaux très différents sont nommés de la même façon à deux endroits différents car les situations de ces deux espaces sont différentes. D'ailleurs, les rapports à ce terme des populations susceptibles d'être nommées ainsi sont là aussi différents: aux Batignolles, on assume facilement d'être un bobo, tandis que dans le bas Montreuil il y a un rejet plus prononcé de l'expression. Dans le premier cas, ce terme sert à marquer une mobilité sociale ascendante pour celles et ceux qui, issus de milieux populaires, utilisent le terme pour marquer leur réussite. Dans le second cas, des gens issus de la bourgeoisie, pour se distancier de leur milieu privilégié d'origine, utilisent le mot bobo pour se définir, pensant paraître moins bourgeois de par le côté bohème du bobo. Lorsque le terme n'est pas employé pour se qualifier soi-même, mais pour parler d'autrui, il est souvent un moyen de qualifier un groupe différent de celui qui parle: les personnes les plus âgées appellent les jeunes bobos, les gens qui habitent le quartier depuis longtemps utilisent ce terme pour qualifier les nouveaux arrivants, les plus pauvres nomment ainsi les plus riches.
Mathieu Giroud a quand à lui fait une enquête à Grenoble, dans le quartier de Berriat-Saint-Bruno, où il va s'intéresser aux populations «déjà là», c'est-à-dire présentes dans le quartier avant la gentrification et qui la subissent, pour voir comment elles le vivent. Il tente alors de délimiter cette catégorie floue, en lui donnant deux caractéristiques: ce sont des gens qui vivent dans le quartier depuis longtemps et à qui les nouvelles politiques urbaines ne s'adressent pas. Il constate qu'en réalité ces populations déjà là ne perçoivent pas réellement les «bobos» pour une raison simple: ils ne côtoient pas les gentrifieurs. Comme l'a montré Pierre Bourdieu dans son ouvrage La Distinction, nos pratiques, nos activités et nos loisirs sont le fait de notre classe sociale, ainsi les populations déjà là et les gentrifieurs ne pratiquent pas les mêmes activités et donc ne se croisent pas au quotidien. Les gentrifieurs ne sont donc pas visibles aux yeux des habitants de longue date, car les deux n'ont pas le même usage de leur quartier, pas les mêmes pratiques culturelles et par conséquent ne vont pas se rencontrer. Cependant, les habitants déjà là perçoivent un embourgeoisement du quartier, qu'ils vivent de façon très différente selon leur situation économique et immobilière: les plus précaires, qui se sentent dans une forme d'insécurité vis-à-vis de leur logement, ne voient pas d'un bon œil l'arrivée de ces nouveaux habitants, qui selon eux risquent de faire augmenter le prix du loyer et ainsi de les pousser à déménager. Les habitants plus installés, qui sont propriétaires et sûrs de pouvoir rester voient quant à eux deux avantages à la venue d'une population plus aisée: le sentiment d'une ascension sociale, puisqu'ils habiteront un quartier huppé sans même avoir à déménager, et la potentielle amélioration de la vie au sein du quartier, en rénovant les vieux bâtiments et en améliorant les installations existantes, ainsi qu'en en créant de nouvelles.